Alfred de Musset

 

 

Text
Editionsbericht
Übersetzungen
Literatur: Musset
Literatur: Revue des Deux Mondes

 

                                    La Nuit de Mai.

 

5                               La Muse.

Poète, prends ton luth, et me donne un baiser;
La fleur de l'églantier sent ses bourgeons éclore.
Le printemps naît ce soir; les vents vont s'embraser;
Et la bergeronnette, en attendant l'aurore,
Aux premiers buissons verts commence à se poser.
10   Poète, prends ton luth, et me donne un baiser.


                            Le Poète.

      Comme il fait noir dans la vallée!
      J'ai cru qu'une forme voilée
      Flottait là bas sur la forêt.
      Elle sortait de la prairie;
15         Son pied rasait l'herbe fleurie;
      C'est une étrange rêverie;
      Elle s'efface et disparaît.


                            [733] La Muse.

Poète, prends ton luth; la nuit, sur la pelouse,
Balance le zéphyr dans son voile odorant.
20   La rose, vierge encor, se referme jalouse
Sur le frelon nacré qu'elle enivre en mourant.
Écoute! tout se tait; songe à la bien-aimée.
Ce soir, sous les tilleuls, à la sombre ramée
Le rayon du couchant laisse un adieu plus doux.
25   Ce soir, tout va fleurir; l'immortelle nature
Se remplit de parfums, d'amour et de murmure,
Comme le lit joyeux de deux jeunes époux.


                            Le Poète.

      Pourquoi mon cœur bat-il si <vite>?
      Qu'ai-je donc en moi qui s'agite,
30         Dont je me sens épouvanté?
      Ne frappe-t-on pas à ma porte?
      Pourquoi ma lampe à demi morte
      M'éblouit-elle de clarté?
      Dieu puissant! tout mon corps frissonne.
35         Qui vient? qui m'appelle? – Personne.
      Je suis seul; c'est l'heure qui sonne;
      O solitude! O pauvreté!


                            La Muse.

Poète, prends ton luth; le vin de la jeunesse
Fermente cette nuit dans les veines de Dieu.
40   Mon sein est inquiet; la volupté l'oppresse,
Et les vents altérés m'ont mis la lèvre en feu.
O paresseux enfant, regarde, je suis belle.
Notre premier baiser, ne t'en souviens-tu pas,
Quand je te vis si pâle au toucher de mon <aile>,
45   Et que, les yeux en pleurs, tu tombas dans mes bras?
Ah! je t'ai consolé d'une amère souffrance!
Hélas! bien jeune encor, tu te mourais d'amour.
[734] Console-moi ce soir, je me meurs d'espérance;
J'ai besoin de prier pour vivre jusqu'au jour.
50    

                            Le Poète.

      Est-ce toi dont la voix m'appelle,
      O ma pauvre Muse, est-ce toi?
      O ma fleur! ô mon immortelle!
      Seul être pudique et fidèle
      Où vive encor l'amour de moi!
55         Oui, te voilà, c'est toi, ma blonde,
      C'est toi, ma maîtresse et ma sœur!
      Et je sens dans la nuit profonde,
      De ta robe d'or qui m'inonde,
      Les rayons glisser dans mon cœur.
60    

                            La Muse.

Poète, prends ton luth, c'est moi, ton immortelle,
Qui t'ai vu cette nuit triste et silencieux;
Et qui, comme un oiseau que sa couvée appelle,
Pour pleurer avec toi, descends du haut des cieux.
Viens, tu souffres, ami. Quelque ennui solitaire
65   Te ronge; quelque chose a gémi dans ton cœur;
Quelque amour t'est venu, comme on en voit sur terre,
Une ombre de plaisir, un semblant de bonheur.
Viens! chantons devant Dieu; chantons dans tes pensées,
Dans tes plaisirs perdus, dans tes peines passées,
70   Partons, dans un baiser, pour un monde inconnu.
Éveillons au hasard les échos de ta vie,
Parlons-nous de bonheur, de gloire, et de folie,
Et que ce soit un rêve, et le premier venu.
Inventons quelque part des lieux où l'on oublie;
75   Partons, nous sommes seuls; l'univers est à nous.
Voilà la verte Écosse, et la brune Italie,
Et la Grèce, ma mère, où le miel est si doux;
Argos, et Ptéléon, ville des hécatombes,
Et Messa la divine, agréable aux colombes;
80   Et le front chevelu du Pélion changeant;
[735] Et le bleu Titarèse, et le golfe d'argent
Qui montre dans ses eaux où le <cygne> se mire
La blanche Oloossone à la blanche Camyre.
Dis-moi, quel songe d'or nos chants vont-ils bercer?
85   D'où vont venir les pleurs que nous allons verser?
Ce matin, quand le jour a frappé ta paupière,
Quel séraphin pensif, courbé sur ton chevet,
Secouait des lilas dans sa robe légère,
Et te contait tout bas les amours qu'il rêvait?
90   Chanterons-nous l'espoir, la tristesse ou la joie?
Tremperons-nous de sang les bataillons d'acier?
Suspendrons-nous l'amant sur l'échelle de soie?
Jetterons-nous au vent l'écume du coursier?
Dirons-nous quelle main, dans les lampes sans nombre
95   De la maison céleste, allume nuit et jour
L'huile sainte de vie et d'éternel amour?
Crierons-nous à Tarquin: "Il est temps, voici l'ombre?"
Descendrons-nous cueillir la perle au fond des mers?
Mènerons-nous la chèvre aux ébéniers amers?
100   Montrerons-nous le ciel à la Mélancolie?
Suivrons-nous le chasseur sur les monts escarpés?
La biche le regarde; elle pleure et supplie,
Sa bruyère l'attend; ses faons sont nouveau-nés;
Il se baisse, il l'égorge; il jette à la curée
105   Sur les chiens en sueur son cœur encor vivant.
Peindrons-nous une vierge, à la joue empourprée,
S'en allant à la messe, un page la suivant,
Et d'un regard distrait, à côté de sa mère,
Sur sa lèvre entr'ouverte oubliant sa prière?
110   Elle écoute en tremblant dans l'écho du pilier
Résonner l'éperon d'un hardi cavalier.
Dirons-nous aux héros des vieux temps de la France
De monter tout armés aux créneaux de leurs tours,
Et de ressusciter la naïve romance
115   Que leur gloire oubliée apprit aux troubadours?
Vêtirons-nous de blanc une molle élégie?
L'homme de Waterloo nous dira-<t>-il sa vie,
[736] Et ce qu'il a fauché du troupeau des humains,
Avant que l'envoyé de la nuit éternelle
120   Vînt sur son tertre vert l'abattre d'un coup d'aile,
Et sur son cœur de fer lui croiser les deux mains?
Clouerons-nous au poteau d'une satire altière
Le nom sept fois vendu d'un pâle pamphlétaire,
Qui, poussé par la faim, du fond de son oubli,
125   S'en vient tout grelotant d'envie et d'impuissance,
Sur le front du génie insulter l'espérance,
Et mordre le laurier que son souffle a sali?
Prends ton luth! prends ton luth! je ne peux plus me taire.
Mon aile me soulève au souffle du printemps.
130   Le vent va m'emporter; je vais quitter la terre.
Une larme de toi! Dieu m'écoute; il est temps.


                            Le Poète.

      S'il ne te faut, ma sœur chérie,
      Qu'un baiser d'une lèvre amie,
      Et qu'une larme de mes yeux,
135         Je te les donnerai sans peine;
      De nos amours qu'il te souvienne,
      Si tu remontes dans les cieux.
      Je ne chante ni l'espérance,
      Ni la gloire, ni le bonheur,
140         Hélas! pas même la souffrance.
      La bouche garde le silence,
      Pour écouter parler le cœur.


                            La Muse.

Crois-tu donc que je sois comme le vent d'automne,
Qui se nourrit de pleurs jusque sur un tombeau,
145   Et pour qui la douleur n'est qu'une goutte d'eau?
O poète! un baiser, c'est moi qui te le donne;
L'herbe que je voulais arracher de ce lieu,
C'est ton oisiveté; ta douleur est à Dieu.
Quel que soit le souci que ta jeunesse endure,
150   Laisse-la s'élargir cette sainte blessure,
[737] Que les noirs séraphins t'ont faite au fond du cœur;
Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur.
Mais pour en être atteint ne crois pas, ô poète,
Que ta voix ici bas doive rester muette.
155   Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots.
Lorsque le pélican, lassé d'un long voyage,
Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux,
Ses petits affamés courent sur le rivage
160   En le voyant au loin s'abattre sur les eaux.
Déjà, croyant saisir et partager leur proie,
Ils courent à leur père avec des cris de joie,
En secouant leurs becs sur leurs goîtres hideux.
Lui, gagnant à pas lens une roche élevée,
165   De son <aile> pendante abritant sa couvée,
Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux.
Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte;
En vain il a des mers fouillé la profondeur;
L'océan était vide, et la plage déserte;
170   Pour toute nourriture il apporte son cœur.
Sombre et silencieux, étendu sur la pierre,
Partageant à ses fils ses entrailles de père,
Dans son amour sublime il berce sa douleur;
Et regardant couler sa sanglante mamelle,
175   Sur son festin de mort il s'affaisse et chancelle,
Ivre de volupté, de tendresse et d'horreur.
Mais parfois, au milieu du divin sacrifice,
Fatigué de mourir dans un trop long supplice,
Il craint que ses enfans ne le laissent vivant;
180   Alors il se soulève, ouvre son <aile> au vent,
Et se frappant le cœur avec un cri sauvage,
Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu,
Que les oiseaux des mers désertent le rivage,
Et que le voyageur attardé sur la plage,
185   Sentant passer la mort, se recommande à Dieu.
Poète, c'est ainsi que font les grands poètes.
Ils laissent s'égayer ceux qui vivent un temps;
[738] Mais les festins humains qu'ils servent à leurs fêtes
Ressemblent la plupart à ceux des pélicans.
190   Quand ils parlent ainsi d'espérances trompées,
De tristesse et d'oubli, d'amour et de malheur,
Ce n'est pas un concert à dilater le cœur.
Leurs déclamations sont comme des épées;
Elles tracent dans l'air un cercle éblouissant;
195   Mais il y pend toujours quelque goutte de sang.


                            Le Poète.

      O muse, spectre insatiable,
      Ne m'en demande pas si long.
      L'homme n'écrit rien sur le sable
      A l'heure où passe l'aquilon.
200         J'ai vu le temps où ma jeunesse
      Sur mes lèvres était sans cesse
      Prête à chanter comme un oiseau.
      Mais j'ai souffert un dur martyre,
      Et le moins que j'en pourrais dire,
        Si je l'essayais sur ma lyre,
      La briserait comme un roseau.

 

 

 

 

Erstdruck und Druckvorlage

Revue des Deux Mondes.
1835, 15. Juni, S. 732-738.

URL: https://archive.org/details/revuedesdeuxmond021835pari

Gezeichnet: Alfred de Musset.

Die Textwiedergabe erfolgt nach dem ersten Druck (Editionsrichtlinien).


Revue des Deux Mondes   online
URL: http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32858360p/date
URL: https://catalog.hathitrust.org/Record/007885235
URL: http://opacplus.bsb-muenchen.de/title/205313-5
URL: https://fr.wikisource.org/wiki/Modèle:Tomes_RDDM/PI
URL: https://archive.org/advancedsearch.php

 

 

Aufgenommen in

 

Kommentierte Ausgaben

 

Übersetzungen ins Deutsche

 

 

 

Literatur: Musset

Brandmeyer, Rudolf: Poetologische Lyrik. In: Handbuch Lyrik. Theorie, Analyse, Geschichte. Hrsg. von Dieter Lamping. 2. Aufl. Stuttgart 2016, S. 164-168.

Castagnès, Gilles / Chelebourg, Christian (Hrsg.): Musset, auteur "tout nu". Paris 2019.

Chamarat, Gabrielle: L'esthétique de la poésie de Musset dans les textes critiques en prose. In: Musset. Poésie et vérité. Hrsg. von Gisèle Séginger. Paris 2012 (= Romantisme et modernités, 137), S. 293-303.

Diaz, José-Luis: L'écrivain imaginaire. Scénographies auctoriales à l'époque romantique. Paris 2007.

Guyaux, André u.a. (Hrsg.): Fortunes de Musset. Paris 2011.

Gymnich, Marion / Müller-Zettelmann, Eva: Metalyrik: Gattungsspezifische Besonderheiten, Formenspektrum und zentrale Funktionen. In: Metaisierung in Literatur und anderen Medien. Theoretische Grundlagen – Historische Perspektiven – Metagattungen – Funktionen. Hrsg. von Janine Hauthal u.a. Berlin u.a. 2007 (= spectrum Literaturwissenschaft / spectrum Literature, 12), S. 65-91.

Heinich, Nathalie: L'élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique. Paris 2005 (= Bibliothèque des sciences humaines).

Keck, Thomas A.: Frankreich-Bilder für eine Lyrik-Ausstellung. Eine Darstellung deutscher Rezeption französischer Literatur bis Mitte des 19. Jahrhunderts. In: Weltliteratur in deutschen Versanthologien des 19. Jahrhunderts. Hrsg. von Helga Eßmann u.a. Berlin 1996 (= Göttinger Beiträge zur Internationalen Übersetzungsforschung, 11), S. 3-50.

Laforgue, Pierre: Luth, églantier et pélican. Quelques remarques sur le "poétique" dans La nuit de mai. In: Alfred de Musset, Premières poésies, Poésies nouvelles. Actes de la Journée d'étude organisée par l'Ecole doctorale de Paris-Sorbonne, 18 novembre 1995. Hrsg. von Pierre Brunel u.a. Mont-de-Marsan 1995, S. 209-221.

Ledda, Sylvain u.a. (Hrsg.): Poétique de Musset. Mont-Saint-Aignan 2013.

Lestringant, Frank: Le mythe du Pélican de Marot à Musset, ou l'histoire d'une profanation. In: Alfred de Musset, Premières poésies, Poésies nouvelles. Actes de la Journée d'étude organisée par l'Ecole doctorale de Paris-Sorbonne, 18 novembre 1995. Hrsg. von Pierre Brunel u.a. Mont-de-Marsan 1995, S. 187-207.

Lunn-Rockliffe, Katherine: French Romantic Poetry. In: The Oxford Handbook of European Romanticism. Hrsg. von Paul Hamilton. Oxford 2016, S. 122-139.

Musset: Hrsg. von Loïc Chotard u.a. Paris 1995 (= Collection "Mémoire de la critique").

Pich, Edgar: La poésie de Musset après "Les Nuits". In: Poésie et poétique en France, 1830-1890. Hommage à Eileen Souffrin-Le Breton. Hrsg. von Peter J. Edwards. New York u.a. 2001, S. 55-76.

Schlaffer, Heinz: Das Dichtergedicht im 19. Jahrhundert. Topos und Ideologie. In: Jahrbuch der Deutschen Schillergesellschaft 10 (1966), S. 297-335.

Séginger, Gisèle: Un lyrisme de la finitude. Musset et la poésie. Paris 2015.

Strauss, Jonathan: The Poetry of Loss: Lamartine, Musset, and Nerval. In: A Companion to European Romanticism. Hrsg. von Michael Ferber. Malden, MA u.a. 2005, S. 192-207.

Vaillant, Alain: La crise de la littérature. Romantisme et modernité. Grenoble 2005 (= Collection: "Bibliothèque stendhalienne et romantique").

 

 

Literatur: Revue des Deux Mondes

Charton, Ariane: Alfred de Musset et la Revue des Deux Mondes. In: Revue des deux mondes (2010), 12, S. 29-44.

Curatolo, Bruno (Hrsg.): Dictionnaire des revues littéraires au XXe siècle. Domaine français. Bd. 2. Paris 2014, S. 1117-1122.

Diaz, José-Louis: La "Revue des Deux Mondes" et les canons littéraires (1831-1852). In: Revue d'histoire littéraire de la France 114 (2014), S. 67-88.

Furman, Nelly: La "Revue des deux mondes" et le romantisme, 1831-1848. Genève 1975.

Kalifa, Dominique u.a. (Hrsg.): La civilisation du journal. Histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle. Paris 2011, S. 339-344

Loué, Thomas: L'inévidence de la distinction. La Revue des Deux Mondes face à la presse à la fin du XIXe siècle. In: Romantisme 121 (2003), S. 41-48.
DOI: https://doi.org/10.3406/roman.2003.1201

Loué, Thomas (Hrsg.): La Revue des Deux Mondes par elle-même. Paris 2009 (= Collection "Le Temps retrouvé").

Mölk, Ulrich: Die 'alte' Revue des deux mondes und der 'junge' Mercure de France (mit einem Blick auf die Revue franco-allemande). In: Europäische Kulturzeitschriften um 1900 als Medien transnationaler und transdisziplinärer Wahrnehmung. Bericht über das Zweite Kolloquium der Kommission "Europäische Jahrhundertwende – Literatur, Künste, Wissenschaften um 1900 in grenzüberschreitender Wahrnehmung" (Göttingen, am 4. und 5. Oktober 2004). Hrsg. von Ulrich Mölk. Göttingen 2006, S. 55-76.

Pluet-Despatin, Jacqueline u.a. (Hrsg.): La Belle époque des revues, 1880-1914. Paris 2002.

Wilfert-Portal, Blaise: Au temps du "cosmopolitisme". Les revues parisiennes et la littérature étrangère, 1890-1900. In: L'Europe des revues II (1860-1930). Réseaux et circulations des modèles. Hrsg. von Évanghélia Stead u. Hélène Védrine. Paris 2018, S. 257-275.

 

 

Edition
Lyriktheorie » R. Brandmeyer